La Westvleteren XII

Une prière pour une bière

La « Westvleteren XII » est-elle la meilleure bière du monde ? Beaucoup le pensent. À commencer par les internautes de Ratebeer qui l’ont placée au sommet de leur pyramide devant, mine de rien, 30 000 autres. Et cela à deux reprises. En 2005 et 2013. Sa note sur le site américain ? 100/100. D’autres, un peu moins nombreux, estiment que l’on en fait finalement un peu trop autour de cette trappiste belge. Oui, elle est excellente. Voire même exceptionnelle. De là à dire qu’elle dépasse et surpasse toutes les autres, il y a un grand pas qu’ils refusent de franchir. Eux pensent que sa réputation la précède tellement que ceux qui la dégustent se sont fait un avis avant même de la décapsuler.

Pour être honnête, et pour mettre fin au suspense, on adhère plutôt à la seconde école. D’accord, on est prêt à faire rentrer la « Westvleteren XII » dans le top 5 de nos bières préférées. Voire même dans le top 3.  Mais pas au-delà. Parce-que, dans le fond, avec les goûts et les couleurs, c’est un peu toujours la même chose. Ça dépend des envies, des moments, du contexte. Bref, ça se relativise. Toutes ces histoires de meilleure bière du monde, les moines de l’abbaye de Saint-Sixte, créateurs et brasseurs de la « Westvleteren XII », s’en contrefichent. Ils s’en seraient même bien passés. Eux, tout ce qu’ils demandent, c’est qu’on les laisse prier. Au calme.

« Il était une fois un marchand de houblon… »

Ces moines justement, Parlons-en. Leur histoire remonte au XIXe siècle. En 1814, un marchand de houblon (comme quoi le hasard fait bien les choses) du nom de Jan-Baptist Victor, originaire de Poperinge, décide de filer vivre en ermite dans les bois de Saint-Sixte. En 1831, quelques ecclésiastiques, menés par le prieur de l’abbaye de Mont des Cats, le rejoignent. Le prieuré des trappistes de Saint-Sixte était né. Il est érigé en abbaye en 1871.

La construction des bâtiments, elle, débute en 1831. Les moines commencent à brasser en 1838, histoire d’agrémenter le solde des ouvriers qui œuvrent sur le chantier. Tarif : une pinte par jour et par homme. En 1851, quand l’abbaye est terminée, les moines poursuivent leur activité brassicole et commencent à vendre leurs bières. Quasiment un siècle plus tard, juste après la Seconde Guerre Mondiale, l’abbé Gerardus décide, quand même, de limiter la production. Une simple question de priorité. La vente ne se justifie que pour permettre aux moines de gagner assez d’argent pour vivre et pour aider les pauvres dont ils ont la charge. La quête spirituelle doit rester l’essentiel.

«Une question de chance et de patience »

Arrive 2005 et ce premier titre de meilleure bière du monde. La vie tranquille et discrète de Saint-Sixte prend fin. La ruée vers ce nouvel or commence. Les moines auraient pu tenter d’en profiter. Ils décident plutôt de ne pas augmenter leur production et de s’en tenir à leur 4 800 hectolitres annuels habituels. Pas question, non plus, d’augmenter les prix. En fait, au début, les moines n’ont rien changé. Résultat : ils se sont retrouvés avec une file d’attente, parfois de 2 km de long (véridique), devant la porte de leur abbaye. En 2006, ils ont fini par prendre le taureau par les cornes. Ou le crucifix par la bonne branche.

Leur solution : rendre plus ardue la procédure d’achat. On reste à 4 800 hectolitres par an (on est loin des 100 000 hectolitres de Chimay atteints à Notre-Dame-de-Scourmont), on laisse les prix entre 30 et 40 euros le casier de 24 bouteilles. Mais pour en acheter, il faut commencer par se rendre sur le site web de l’abbaye pour vérifier la disponibilité. Car les moines brassent trois bières différentes (la VI, la VIII et la XII), mais pas en même temps. On vérifie la disponibilité, donc. Puis on téléphone pour prendre rendez-vous, sachant qu’on ne répond pas facilement aux coups de fil par là-bas. « C’est une question de chance et de patience », expliquent-ils. On donne le numéro de la plaque d’immatriculation qui viendra chercher la livraison. Et on tâche d’être à l’heure le jour J. Si on rate son tour, il faut recommencer depuis le début. À tout cela s’ajoutent encore quelques restrictions. Ainsi, la Westvleteren (peu importe laquelle des trois) n’est vendue qu’aux particuliers qui s’engagent ensuite à ne pas en faire le commerce. Interdiction d’acheter plus de deux caisses d’une même bière. Il faut attendre 60 jours entre deux réservations à partir d’un même numéro de téléphone et entre deux livraisons récupérées par une même voiture. Les bouteilles et les caisses, elles, sont consignées.

« La plus petite des grandes trappistes »

Sinon, on peut aussi se rendre juste en face de l’abbaye, au café In de vrede. Qui appartient aux moines. Et qui, selon les disponibilités, propose des Westvleteren. Troisième solution : attendre que les moines aient besoin d’argent pour réhabiliter une partie de leur logis. Ce fut le cas en 2011. Très exceptionnellement, ils ont augmenté la production de « Westvleteren XII » et l’ont vendue un peu partout en Europe de l’Ouest (c’est comme ça qu’on en a eu, d’ailleurs). Une fois les travaux financés, hop, le système classique a été remis en place.

Aujourd’hui, l’abbaye de Saint-Sixte n’abrite qu’une vingtaine de moines. Qui brassent eux-mêmes, sans l’aide d’employés extérieurs, contrairement aux autres trappistes de Belgique. Et toujours selon le rythme qui leur convient, sans aucun objectif productiviste. Juste pour leur permettre de faire vivre leur monastère. Et pas les amateurs de bières.

La fiche technique

  • Nom : Westvleteren XII.
  • Brasserie : Saint Sixtus Trappistenabdij.
  • Type : bière d’abbaye, quadruple.
  • Teneur en alcool : 10,2 %.
  • DLUO : décembre 2014
  • Pays : Belgique (à Vleteren, en Flandre Occidentale).

À l’œil

Couleur rouge bordeaux avec des reflets cuivrés. Mousse beige de tenue longue, qui laisse un col assez fin de quelques millimètres. De très petites bulles.

Au nez

Des arômes hyper agréables. Un mélange de malts, de chocolat, de prune, de vanille. Un peu boisé. Bref, c’est riche et complexe.

En bouche

Attaque douce et sucrée. Le chocolat est moins présent qu’attendu. Le sucré, façon fruits mûrs, prend bien le dessus, mais cela ne devient jamais écœurant (c’est peut-être là d’ailleurs la très grande force de la « Westvleteren XII »). Légère amertume et un final qui dure, qui dure. Une bière équilibrée et onctueuse.

Note : 18/20

Amen.

Deux petites anecdotes pour finir ce billet. D’abord, sachez que l’abbaye de Saint-Sixte était au cœur des combats lors des deux Guerres Mondiales. Lors de la première, près de 400 000 soldats y ont été hébergés. Lors de la seconde, elle a servi de base au général Montgomery. Peut-être a-t-il goûté à la « Westvleteren XII », puisque celle-ci est brassée depuis 1941. Enfin, on se souviendra qu’en 1850, seize moines de Saint-Sixte ont quitté l’abbaye pour aller fonder celle de Notre-Dame-de-Scourmont, productrice de la fameuse Chimay.

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